enquête publique et interpellations des élu.es, risques pour l'environnement, énergies

Rockwool et la sécheresse

1e publication de cet article le 18 juillet 2022

Quelles régulations des usages industriels de l’eau en période de sécheresse ?

En période de sécheresse, des restrictions sont imposées par arrêtés préfectoraux quant aux usages de l’eau. Cependant, en ce qui concerne les ICPE (installations classées pour l’environnement), les restrictions sont limitées à exiger que les consommations soient conformes à leur arrêté d’autorisation. Cela signifie que si l’arrêté d’autorisation n’est pas exigeant sur l’origine des eaux utilisées dans le process industriel, l’industriel peut poursuivre son activité sans restriction en utilisant le réseau public. Il est donc essentiel que l’arrêté préfectoral comporte des restrictions en période de sécheresse et impose aux installations industrielles une autonomie pour couvrir ses besoins en eau non potable.

Nous proposons la règle suivante :

« L’installation industrielle doit pouvoir assurer par elle-même ses besoins en eau non potable telles que les eaux nécessaires à un process industriel pour le refroidissement ou les préparations. Cela implique que l’installation comporte une récupération et une rétention des eaux de pluie ainsi qu’un recyclage des eaux usées dont le volume sera calculé de telle manière que les besoins en eau de l’installation industrielle pourront être couverts dans le cas des plus longues périodes de sécheresse constatées sur une période de 10 années dans la zone géographique. »

L’exemple d’un projet d’installation industrielle à Soissons

A titre d’exemple, l’industriel Rockwool souhaite construire à Soissons une usine de fabrication d’un matériau isolant à base de fibres de roche polymérisées au liant urée-formol (isolant dénommé « laine de roche »). Les quantités fabriquées seraient de 115 000 T de produits finis par an. Cette fabrication nécessite de grandes quantités d’énergies avec des fours à 1 500° mais elle nécessite aussi des consommations d’eau importantes pour le process industriel. Pourtant, l’industriel Rockwool n’a pas prévu de stockage suffisant de l’eau et utilisera l’eau potabilisée du réseau public tel que l’y autorise l’arrêté préfectoral.

Besoins en eau pour le process industriel, ce qui est prévu par Rockwool

Rockwool évalue ses besoins en eau pour le process industriel à environ 122 000 m³/an selon détail ci-dessous. Mais, pour couvrir ces besoins, l’industriel a prévu d’après les documents fournis pour l’enquête publique, deux bassins de récupération d’eau de 3 825 et 2 825 m³. Le besoin de rétention pour l’incendie est de 2 880 m³. La capacité de consommation autonome est donc de 3 770 m³, ce qui représente une autonomie de 8 jours en période de sécheresse, période au-delà de laquelle l’industriel prendra la totalité de ses besoins dans le réseau public d’eau potable.

Evaluation du volume de rétention nécessaire pour une autonomie en eau

Dans l’application de la règle ci-dessus, avec une obligation d’autonomie complète, cet industriel devrait mettre en place des bassins de rétention dont nous évaluons ici les volumes.

Les besoins en eaux de Rockwool pour le process industriel sont de 20 m³/h mais l’industriel prévoit d’utiliser en partie les eaux de pluie récupérées. En période de sécheresse, l’industriel puisera donc la totalité de ses besoins dans le réseau public soit 175 200 m³/an ou 14 600 m³/mois. Rockwool précise que environ 85 % partiraient en vapeur d’eau et le reste serait rejeté dans le réseau d’eaux usées (quantité donnée à 18 400 m³/an d’eaux usées).

En appliquant la règle ci-dessus et en partant de l’hypothèse d’une période de sécheresse de 3 mois tel que cela a été constaté à plusieurs reprises ces dernières années dans l’Aisne, il faudrait à Rockwool au moins l’équivalent de 3 mois de consommation pour le process industriel soit 43 800 m³ (en prenant l’estimation à 20 m3/h) auquel il faut ajouter les 2 880 m³ de besoins en sécurité incendie soit 46 680 m³ . Rockwool devrait donc mettre en place une rétention d’eau minimale de 4,6 ha sur 1 m de profondeur, volume auquel il faut ajouter le volume d’évaporation naturelle.

Faible autonomie du projet imaginé par Rockwool dans l’Aisne

Les précipitations moyennes annuelles dans l’Aisne sont de 702 mm (données de la station de Saint-Quentin). Rockwool a prévu d’imperméabiliser 10,4 ha sur le futur site industriel. A supposer que l’intégralité de ces surfaces soient connectées, la capacité de récupération serait donc en l’état actuel inférieure aux besoins annuels de 175 200 m³.

En effet, en partant de l’hypothèse que Rockwool récupère la totalité des surfaces imperméabilisées de son projet industriel, soit 10,4 ha répartis entre 3 ha de toitures de bâtiments et 7,4 ha de voiries, le tableau ci-dessous montre les besoins en eaux de Rockwool, besoins qui seraient nécessairement pris sur le réseau public d’eau potable. L’année prise en référence est 2020. Le déficit global pour cette année est de 102 192 m³ soit l’équivalent des consommations d’environ 3 400 personnes.

Le tableau ci-dessous montre que Rockwool n’aurait été autonome en eau que 2 mois pour l’année 2020.

Risque de saturation du réseau public

Le process industriel imaginé par Rockwool en matière de consommation d’eau aura un impact important sur la capacité du réseau public, particulièrement en période de sécheresse. Rockwool a en effet prévu de compenser les besoins en eau par l’utilisation du réseau public (soit au minimum 85 % de ses besoins d’après les chiffres indiqués plus haut). La capacité du réseau est estimée à 2 000 m³/jour mais selon d’autres informations dans le dossier technique de Rockwool, elle serait de 65 m³/h soit 1560 m³/jour. Dans le cas d’une consommation moyenne avec 20 m³/h, les besoins de Rockwool seraient de 480 m³/h, ce qui équivaut à 30.7 % de la capacité du réseau. Or, l’étude de Rockwool ne dit pas ce qu’il adviendrait des besoins des autres utilisateurs du réseau public si l’industriel monopolisait 30.7 % des capacités indiquées, surtout si ces besoins surviennent en période de stress hydrique et de canicule.

Consommation excessive d’eau pour la production d’un produit isolant

La consommation d’eau d’une usine comme Rockwool est équivalente à celle de 1 450 foyers soit 5 800 habitants mais pour savoir si cette industrie sera une grosse consommatrice d’eau, il ne suffit pas de la comparer avec la consommation d’une ville, il faut la comparer avec d’autres industries. La production d’isolant en fibres minérales est comparable avec la production d’isolant en fibres naturelles tel que le chanvre. La comparaison avec la consommation d’eau pour le process industriel d’une chanvrière est donc intéressant. Or, la Chanvrière de l’Aube qui gère une des principales installations industrielles de transformation du chanvre, n’utilise pas d’eau dans son process.

La fabrication de Rockwool vise à produire un matériau isolant, des matelas de fibres de roches polymérisées au liant urée-formol. Pour parvenir à fabriquer cet isolant, le process industriel nécessite l’emploi de 1 460 litres d’eau par tonne de produit fini. A comparer avec 0 litre pour une tonne de chanvre ou de certains autres matériaux biosourcés. La consommation d’eau et la production de vapeur d’eau pourraient donc être évitées en modifiant le process industriel.

Conclusion

Cet exemple illustre qu’une obligation imposée aux industriels visant à leur autonomie dans l’usage de l’eau pourrait conduire à modifier les process pour tendre vers des pratiques respectueuses de l’environnement.

18-05-2022

Annexe : données du dossier technique de l’enquête publique

Les besoins en eau du réseau public formulés par Rockwool sont, page 7/26 du résumé technique « 20 m3/h maximum et 11 m3/h en moyenne » auxquels il faut ajouter les besoins pour la sécurité incendie estimés à 2 880 m3 (1 640 pour la zone Aval et 1 240 pour la zone Amont selon règle de calcul D9A, cf p 31 du document EDD). Il est indiqué dans le même paragraphe que le réseau AEP (adduction en eau potable) ne sera sollicité qu’à hauteur de 50 % de ces besoins, les autres 50% étant assurés par la récupération des eaux pluviales. Les consommations annuelles oscillent donc entre 96 360 et 175 200 m3/an qui peuvent être pris sur le réseau AEP si la récupération d’eaux pluviales est insuffisante.

Le rejet d’eaux industrielles est, lui, estimé à 1.5 m3/h + 2500 m3/an pour les eaux usées soit 15 640 m3/an, le tout rejeté dans le réseau public (cette quantité est un peu différente des 18 400 m3 donnée par ailleurs mais ce n’est pas le seul point sur lequel les chiffres fournis par Rockwool varient).

Dans le rapport de base, p. 17 il est indiqué que le réseau AEP présente un débit de  » 65 m3/h, 2000 m3/j ». Si on prend la première donnée, la disponibilité du réseau AEP est de 1560 m3/j.

Les deux bassins de rétention ont des volumes respectivement de 4 700 et 5 300 m3 dont 2 880 pour la réserve incendie et le restant, 6 120 m3, utilisable dans le process. Cette disponibilité équivaut à 12 jours d’autonomie.

Le calcul des volumes d’eaux pluviales récupérables est évalué p 31 du document Projet avec le tableau ci-dessous

La conclusion de Rockwool est une possibilité d’utilisation moyenne à hauteur de 50 % des besoins. On peut en douter en analysant les diagrammes ci-dessus établi sur la base de la pluviométrie de l’année 2020.

D’une part, le volume de rétention est insuffisant puisqu’il ne permet pas une autonomie complète au delà de 12 jours. D’autre part, dans l’hypothèse où ce volume serait augmenté pour par exemple faire face à une sécheresse continue de 3 mois, il reste un déficit global important.

2 réflexions au sujet de “Rockwool et la sécheresse”

Laisser un commentaire